Tu devrais voir quelqu'un

Publié le par Christine

Aujourd'hui vous n'allez pas y couper et il faut absolument que je vous en parle. D'abord, parce que cela a été un véritable parcours du combattant pour l'obtenir. Ensuite, parce que je l'ai lu, que je l'ai laissé reposer un peu, comme pour une pâte briochée, et qu'il a fallu que j'y replonge les doigts et surtout les yeux. Un livre dont le titre joue sur les mots et les concepts, mais dont le contenu n'est pas un jeu. Ce livre contient tout ce que j'aime lorsqu'on aborde le sujet de l'écriture et de ses enjeux.
Ecrire, c'est vivre.
Et écrire, c'est donner la vie.





Tu devrais voir quelqu'un
Emmanuelle Urien
Gallimard
165 pages; 15,90 euros

Mais.. de quoi est-il question?
Sarah est une jeune femme tout à fait ordinaire. Elle a ses habitudes, ses rituels, son travail, son amie de toujours. Elle a aussi Julien. Mais il a beau être son amant, il est d’abord le mari de son amie. Alors Sarah culpabilise un peu, et il n’y a pas beaucoup de place pour Julien dans sa vie. Dans sa vie, il y a surtout beaucoup de place pour les questions, les doutes, et pour se demander au fond ce qu’elle veut et qui elle est.Sarah est une jeune femme ordinaire.
Oui, mais voilà… Sarah écrit. Sa vie s’éparpille sur des tas de petits papiers. Eux aussi ils prennent de la place. Alors, non merci, elle ne veut pas de surprises. Des surprises comme Janvier, par exemple. Et cet homme-là, c’en est vraiment trop. Il s’incruste, il dérange, il la suit partout. Mais qu’est-ce qu’il lui veut, à la fin ?

Attention livre surprenant!
Ce pourrait être une histoire d’amour. Une banale histoire triangulaire entre l’amie, l’amant et elle. Mais non.
Ce pourrait être un fait divers. Un banal fait divers entre l’inconnu qui débarque, la peur qui s’installe, et elle. Mais non.
Ce pourrait être une histoire de domination. Une banale histoire sadomasochiste entre l’homme qu’elle veut contrôler et elle. Mais non.
Ce pourrait être un roman dans le roman. Elle écrit sur ce qu’elle écrit. Une banale mise en abyme. Mais non.
Avec un style simple, des phrases courtes, une façon inimitable de décortiquer le quotidien, de l’éplucher jusqu’à la moelle, d’en extraire l’absurde jusqu’à la lie, Emmanuelle Urien s’attaque à ce qui fait le propre même de l’ écrivain : jeter les mots sur le papier, mettre la vie intérieure noir sur blanc, ouvrir les portes de l’imaginaire pour laisser entrer les surprises.
Car les mots ont une vie propre, tout le monde le pressent, tout le monde le devine.
Et là, Sarah va en faire l’expérience.
Sa vie « réelle » est très étroitement balisée de rites, de manies, d’obsessions. Mais sa vie « intérieure » est un tourbillon, une lutte permanente, une source d’angoisses perpétuelles qu’il lui faut à tout prix mettre en mots, en images. L’extériorisation pour pouvoir prendre du recul et tenter de prendre le contrôle. Oui mais voilà, chaque créature créée échappe à son créateur.
Ce ne sont ni Prométhée ni Frankenstein qui pourront le contredire.
Le suspense est distillé au fil des pages, la rage et la folie montent. Comment maîtriser l’imaginaire ? c’est chose impossible… A moins que ?
Le lecteur est partie prenante, sert de miroir, et tombe dans le piège. Car en digne novelliste, Emmanuelle Urien a un formidable sens de la chute. C’est évident, c’est incontestable, que ce soit à chaque fin de chapitre, et bien évidemment à la toute dernière ligne de ce roman.
C’est noir, c’est féroce, c’est tragiquement absurde, et c’est un très bon roman (oui, c’est un roman, un premier roman, un vrai bon premier roman) qui parle d’amour, de fait divers, de domination, de prise de contrôle, de mise en abyme. Qui parle surtout d’écriture.
Et qui est loin d’être banal.

Publié dans roman français

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