Le cerveau de Kennedy

Publié le par Christine

Est-il encore besoin de présenter Mankell ? Cet auteur suédois vit entre deux continents, entre Europe et Afrique, terre qui est sa grande passion et souvent évoquée dans ses livres.
Le Cerveau de Kennedy a été édité en 2005 en Suède et arrive avec un décalage certain entre nos mains.








Le Cerveau de Kennedy
Henning Mankell
Seuil
391 pages
22 euros.


Pour avoir une petite idée de l'intrigue :
Louise Cantor, archéologue suédoise dans la petite cinquantaine, doit quitter précipitamment son chantier de fouilles (et accessoirement son amant) en Grèce pour rentrer au pays. La cause : Henrik son fils unique a été retrouvé mort dans son lit. C’est l’effondrement, sa vie n’a plus aucun sens. Mais elle ne peut se résoudre à l’explication d’une mort naturelle.
Elle va mettre tout son talent d’archéologue à la reconstruction fragment par fragment de la vie de son fils. Elle reste d’abord sur place, explore ses papiers, son ordinateur, découvre qu’elle ne savait rien de lui. De sa curieuse obsession pour la disparition du cerveau de Kennedy. De ses activités. De ses nombreux voyages. Elle reprend contact avec Aron, son ancien époux (le seul et grand amour de sa vie), mais lui aussi disparaîtra lors de recherches qui la mèneront de Barcelone au Mozambique, là où son fils tentait de mettre à jour un scandale impliquant de puissants groupes financiers et d’importants lobbys pharmaceutiques.
Alors, mort naturelle ? Assassinat ? Et que deviendra Louise, seule et au bord du gouffre ?

Pourquoi il faut le lire :
Mankell reprend sa plume d’écrivain engagé dans la dénonciation d’un monde assoiffé d’argent, sans morale, sans égard vis à vis de tout un continent victime du SIDA et qui meurt dans l’indifférence générale. La trame est certes policière, mais c’est tout à fait secondaire.
Ce n’est qu’un prétexte pour dénoncer un scandale (SIDA, ou autre, quelle importance ?) et pour plonger dans la vie d’une femme brisée qui tente désespérément de retrouver un sens à sa vie, et à la mort de son fils. Il y a de nombreux passages introspectifs, lucides et mettant les émotions à plat.
Louise est perdue, mais elle se bat malgré tout. Le parcours géographique chaotique de cette femme est à l’image de son chaos intérieur. Le fil de l’intrigue est tout autant décousu et surprenant. Effet de style ou pas ?
J’ai trouvé cela, pour ma part, très intéressant.
D’ailleurs, le nom de Cantor est-il aléatoire ? J’ai du mal à le croire. Cantor, père de la théorie des ensembles, célèbre pour sa « poussière de Cantor » : un ensemble sans point isolé mais formé de points isolés (exemple de la droite coupée en trois morceaux, à l’infini il ne reste que les extrémités des segments et encore beaucoup plus de points que de segments), infinis, formant toutefois un ensemble continu.
Le parallèle avec notre monde réel n’est-il pas saisissant ?
Individus isolés toujours en interaction pour tenter une continuité, une transmission.
Les phrases sont souvent courtes, sèches, descriptives. L’auteur est sans pitié et sans langue de bois. Il s’enflamme lorsqu’il décrit cette terre africaine qu’il connaît si bien.Rien à voir avec le style habituel de ses romans policiers.
( Par exemple: « Profondeurs », même écriture. Peut-être ici moins travaillée ? Quoique. Mankell a trop d’expérience pour que l’apparente déconstruction ne soit due qu’à sa seule rage. )
On sent l’auteur très impliqué. Il épingle une vérité effroyable et défend becs et ongles les laissés-pour-compte.

Explications du titre selon l’auteur : « A propos du titre, j'ai utilisé Kennedy comme un symbole. En lisant le rapport Warren sur son assassinat, j'ai appris qu'une partie de son cerveau mitraillé avait disparu. Si le cerveau du président américain disparaît, cela veut dire que tout ce qui concerne la vérité peut disparaître. Ce cerveau était une preuve factuelle, il pouvait probablement prouver que Kennedy avait été tué par un ou deux autres tireurs et non par Lee Harvey Oswald. Le problème, c'est que nous ne le saurons jamais car une partie du cerveau a disparu. »

Ici c’est un peu la même chose : la vérité échappe à ceux qui la cherche. Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte est de chercher.
Un livre intéressant pour sa dénonciation et sa virulence. Surprenant pour son style et son fil conducteur. C’est l’inconscient de l’auteur qui parle ici et qu’il faut lire entre les lignes.
Dans ce roman ce n’est pas le traducteur habituel (rendez-nous Anna Gibson !!) Cela se ressent car il y a de grandes inégalités de ton assez énervantes.
Un livre qui fait réfléchir, et un beau portrait d’une femme qui pourrait être vous ou moi.

Publié dans roman étranger

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